GERS (Gwenda)
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Introduction : Légende contant la Renaissance Gersienne.
Autrefois, le peuple de Gers était humain. En effet, les Gersiens étaient des hommes et des femmes de la même trempe que les terriens ou les Martiens. Leur technologie était en avance par rapport à la plupart des autres peuples et ils avaient atteint un tel degré d’harmonie avec la nature qu’ils pouvaient contrôler certains végétaux par la pensée.
Puis vint le temps de l’Apocalypse, quand les centaures descendirent des Cieux et commencèrent à envahir Gers. Ce fut un véritable massacre, la population, pacifiste depuis de nombreuses années, fut entièrement décimée. La Grande Prêtresse du Culte de la Nature : Lana, eut recours à tous ses pouvoirs pour contrer la menace minsienne. Elle les utilisa afin de fusionner avec le plus vieil arbre de la planète, un arbre qui avait peut être plusieurs millions d’années. On l’appelait Dra-Oh. La fusion fut un véritable succès, et la Mère Lana renaquit. Aussitôt, elle donna naissance à une nouvelle génération de Gersiennes, fusionnant le corps des survivants avec sa progéniture végétale. Chacune de ses filles avaient une mission prédéfinie, la Reine les contrôlant toutes, à la façon d’une fourmilière. En plus de ces nouveaux corps, ces Gersiennes semblaient douées de techniques de combat dont elles n’avaient jamais fait preuve auparavant. Elles repoussèrent les minsiens qui retournèrent sur leur planète. Le répit fut de courte durée, mais Gers avait connu la Renaissance.

Gwenda se réveilla. Elle venait de faire un cauchemar et sentait la sueur s’évacuer des pores de sa peau. Elle respira fortement, comme si on venait de lui couper la respiration et qu’elle tentait de la reprendre.
Encore le même cauchemar, pensa-t-elle. Elle tendit la main devant elle, au travers du liquide épais dans lequel elle reposait. D’une pensée, elle ordonna aux parois du cocon d’absorber la substance puis de s’ouvrir pour la laisser sortir de sa régénération. Gwenda se laissa extraire de son lit organique qui se décomposa au moment même où elle sortit sa deuxième jambe.
Elle était dans une des nombreuses chambres de l’édifice : un pièce qui se créait ou disparaissait selon la volonté de sa Reine ; des racines parcouraient le sol et de la sève coulait du plafond de cette sphère parfaite. La peau de Gwenda s’altéra sous sa pensée, un justaucorps noir pris forme. Son avant-bras droit grossit et s’écorcha pour devenir un gantelet aux griffes acérées ; de longs morceaux de ce gantelet s’étirèrent et vinrent jusqu’à son tibia pour l’enrober et le protéger par la même forme végétale, organique.
Gwenda s’approcha d’un côté de la seule et unique paroi de la pièce, pris un long fusil relié à un viseur binoculaire qui l’attendait par terre, et continua son chemin au travers du mur, s’enfonçant dedans sans qu’il n’oppose aucune résistance, semblant se fondre en lui. Elle réapparut de l’autre côté dans une sorte d’escalier, mais sans marches, un long couloir montant, fait dans la même matière organique que la pièce qu’elle venait de quitter. Elle monta vers la cime de la structure et croisa sur son passage quelques autres Gersiennes qui la saluèrent respectueusement ou qui tentèrent de discuter avec elle. Gwenda les repoussa gentiment :
– Désolée, je suis pressée. Il faut que j’ailles voir Mère.
– D’accord, répondirent-elles. A plus tard Gwenda.
Elle reprit sa marche vers les sommets du bâtiments, essayant de se souvenir de son cauchemar, de ne pas l’oublier avant de l’avoir raconté à Mère...
Dans son rêve, quelque chose d’horrible, tellement terrifiant que cela entraînait une sorte d’apocalypse dans l’Univers. Mais quelle était cette chose ? Elle ne s’en souvenait plus. Elle s’arrêta pour se concentrer uniquement sur ses pensées, abandonnant tout autre activité. La seule chose dont elle se souvenait était qu’une poignée de personnes tentaient d’arrêter cette chose ; ils étaient dix, dix ombres dont elles ne se souvenaient que très vaguement, dix à sentir et savoir ce qui allait arriver...
Gwenda regarda autour d’elle. Elle venait de s’arrêter devant une des rares ouvertures du complexe – rares parce qu’elles changeaient sans arrêt de place. Elle se glissa au travers pour aller à l’extérieur. S’accrochant au mur à l’aide de sa griffe, elle contempla le paysage de sa planète. Tout ce qu’elle voyait c’était des arbres, de la verdure, des étendues totalement organiques, aucun signe de Techno à l’horizon. Le parfait Eden décrit dans toutes les religions : la nature maîtresse de toute
une planète.
Soudain, un fracas épouvantable traversa le ciel, le bruit, atroce, vint lui faire vibrer les oreilles. Gwenda regarda dans la direction d’où provenait cet épouvantable vacarme et vit... Une énorme boule de feu traversa les airs à toute vitesse et s’écrasa au sol. Aussitôt, le paysage paradisiaque s’embrasa, et la forêt enchantée prit feu. C’est alors qu’une pluie diluvienne se déclencha, comme par miracle et stoppa tout avant que les flammes se propagent trop vite.
Gwenda sauta dans le vide et se laissa glisser le long du mur extérieur, légèrement en pente. En même temps, elle envoya un message télépathique aux Gersiennes le plus proches :
– Que personne ne touche à ce qui vient de tomber. Attendez ma venue.

Gunnm marchait dans une jungle vivante. Il était seul et les plantes l’attaquaient de tous les côtés. Une lame sortit de son bras et il commença à découper les végétaux. Apercevant une lumière filtrée par les arbres et les plantes, il se dirigea vers elle. Il arriva alors dans un clairière. Au centre de celle-ci, un socle. Le même que celui de Undalgüden mais, à la place de la lame, c’était une femme qui se tenait là, les bras croisés sur la poitrine, les yeux fermés, une longue chevelure noire et deux marques rouge-carmun en dessous des yeux. Gunnm la reconnut aussitôt :
– Maria...
Au fur et à mesure qu’il s’approchait, il vit alors un changement s’opérer sur le corps de la jeune femme. Ses cheveux raccourcirent, ses traits se raffermirent, montrant la longue et pénible vie de l’être :
– Ma... commença Gunnm.
Aussitôt le sol se mit à bouger. Il se fendit, se craquela. Un gouffre immense apparu sous les pieds de Gunnm, et de l’intérieur de la terre sortit une matière techno liquide qui l’agrippa par les jambes. La substance commença alors à remonter le long de son corps, ou peut être était-ce lui qui descendait. Bientôt, seule sa tête restait dehors. Il poussa alors un long cri d’horreur et...
Se réveilla, essoufflé. Il essaya de reprendre sa respiration. Au bout de quelques secondes, il réussit à se calmer et commença à regarder autour de lui. Il se trouvait dans une pièce totalement sphérique. Elle semblait totalement organique et vivant. En s’appuyant contre la paroi, Gunnm pouvait sentir le soulèvement régulier, comme si l’édifice dans lequel il était respirait. Aucune ouverture n’était visible et, par conséquence, aucune possibilité de sortir, s’enfuir.
Le Martien se leva. Il avait été couché par quelqu’un, car il ne se souvenait pas être venu ici tout seul. Tentant de bouger, il s’aperçut que quelque chose le retenait. En baissant les yeux sur ses poignets, il vit que le sol s’étendait jusqu’à eux et les enserrait, les agrippait, comme la matière de son rêve.
L ’ancien agent regarda son corps. Son armure est son équipement avait de nouveau disparu. Son geôlier avait sûrement voulu l’emporter pour plus de “sécurité”. Gunnm tenta de se rappeler ce qui lui était arrivé depuis son départ de Mars... Il avait décollé sans encombre, le pilotage de la petite navette n’étant pas trop compliqué – il savait conduire des vaisseaux bien plus sophistiqués –
mais sitôt le périmètre du statioport passé, une escadrille de chasseurs l’avait poursuivi. Ils avaient tenté de dialoguer avec lui, de savoir qui il était. Comme ils n’avaient obtenu aucune réponse, ils avaient fondu sur lui et ouvert le feu. Tout au long du voyage, Gunnm avait regardé la jauge de puissance de son bouclier se réduire, ne pouvant faire autre chose qu’espérer atteindre sa destination, puisque la navette n’avait aucun moyen de défense. La protection céda enfin et les chasseurs revinrent sur leur planète tandis que l’ex-agent tentait d’amorcer sa descente sur Gers avec son vaisseau en flammes. C’est à partir de ce moment que sa mémoire s’arrêtait pour se réveiller dans l’épave de son vaisseau où il se souvenait d’un visage qu’il avait vu, penché au dessus du sien. Ce visage Gersien, avec des lunettes de visée sur le front et des cheveux – ou plutôt des lianes – mi-longs. C’était son seul souvenir précis. Le visage et la sensation étrange qu’il avait ressenti en le voyant.
Un bruit le tira de sa rêverie. Un bruit organique. Comme quelqu’un qui déglutit de façon excessivement sonore... Regardant devant lui, il voit deux magnifiques Gersiennes se dirigeant vers lui. Elles étaient habillées d’une robe assez complexe et portaient une lance organique, ce qui étonna Gunnm. Toutes les Gersiennes qu’il avait vu sur les champs de bataille ne portaient qu’un body noir et des gantelets, organiques eux aussi. Les deux femmes devaient occuper une fonction autre que guerrières. Elles arrivèrent devant lui – mais comment sont-elles entrées ? se demanda Gunnm. Elles levèrent leurs mains gauches, chacune au dessus d’un des liens de leur prisonnier, et ceux-ci, sans qu’elles ne les touchent, vinrent directement s’enrouler autour de leurs poignets de la même façon qu’ils l’étaient autour des siens.
L’une des deux femmes-plante, d’un geste de la tête, lui ordonna de les suivre. Elle et sa compagne marchèrent alors droit vers la paroi et, entraînant Gunnm à leur suite, s’en,foncèrent dans le mur et ressortirent de l’autre côté, au beau milieu d’un couloir. Aucune parole n’avait été proférée. Ni par elles, ni par lui. Les deux femmes s’apprêtèrent à reprendre leur chemin lorsque, soudain, les liens implosèrent sous l’effet d’une force inconnue. Les Gersiennes, avec un réflexe instinctif, détachèrent la matière organique de leurs poignets pour ne pas ressentir la douleur – car l’élément s’était assimilé à leur corps. Mais lorsqu’elles se retournèrent pour rattraper le prisonnier, celui-ci avait disparu.

Gwenda redescendait vers sa chambre. Il était bientôt l’heure de sa régénération et, à cause des événements étranges de cette journée, elle n’avait pas eu le temps d’aller voir Mère. Elle devait se presser de trouver une pièce libre afin de se confectionner un cocon ? Ces escalier lui paraissaient interminables, et ils étaient complètement vides, elle devait être la dernière encore debout... A moins que... Elle s’arrêta et écouta... Rien... En fait, non. Maintenant elle en était sûre, elle entendait bel et bien du bruit ; le bruit de quelqu’un de désorienté. Quelqu’un qui va là où le mène ses pas, ne sachant pas quoi faire d’autre, quelqu’un avec une forte volonté, quelqu’un remplie d’une énergie intense, infinie...
Soudain elle le vit... Il se tenait juste devant elle, comme s’il avait toujours été là et, en même temps, comme s’il venait juste d’apparaître. C’était l’homme qui avait atterri dans ce vaisseau en flammes. L’homme qui, normalement, devait déjà être reparti dans l’espace.
Une impression étrange la traversa, un flash, comme la première fois qu’elle s’était penchée sur lui dans la carcasse de la navette. Mais cette deuxième fous fut différente, car elle avait compris. Elle l’avait déjà vu... dans son rêve. Ce rêve qu’elle faisait depuis plus d’un mois. Il faisait partie de ces dix personnes.
Soudain; l’homme se jeta en avant et, lui prenant le bras, il traversa la paroi à côté de lui.

– Il faut faire revenir les Minsiens ! cria un des conseillers.
– Il a raison, continua un autre. Pour le bien de notre planète...
Cela n’arrêtait pas. Depuis bientôt quatre heures, les conseillers Martiens ne cessaient de se répéter, se contredire et même de s’endormir.
Renig ne prenait pas part au débat. Il réfléchissait. Il devait empêcher la venue des minsiens, car c’était justement ce que souhaitait Milms, ou plutôt, l’entité qui le contrôlait. Mais on n’était sûr de rien, ce n’était pour l’instant qu’une supposition. Peut être que l’Empereur avait toute sa tête et que ce n’était qu’une grande fatigue bien logique après toutes ces années de combat. Peut être était-ce à cause de son âge ? Peu de gens le savaient, mais Milms, malgré son apparence juvénile et son corps de cyborg possédait plus de deux cents ans.
Le Grand Conseiller s’interrogeait. Avait-il eu raison de croire en ces vieilles légendes ? Était-ce une bonne idée ? De toutes façons il était trop tard pour faire machines arrières. Pour l’heure, il devait empêcher les minsiens de revenir signer ce foutu traité...

– Qui es-tu homme-robot ? demanda Gwenda, sans aucune trace de peur dans sa voix.
– Qui es-tu femme-plante ? lui retourna Gunnm.
– Tu m’emportes dans ta fuite, tu me laisses mes armes, comme si tu me faisais confiance, comme si tu me connaissais... Et tu ne sais pas qui je suis ?
Sur ma planète, nous avons depuis longtemps appris à poser les questions d’abord et attaquer ensuite. Alors je te le redemande une dernière fois : qui es-tu et que me veux-tu ?
– Très bien. Je me nomme Gunnm et je viens de la planète Mars... J’ai été témoin d’un... changement, et je dois rectifier les choses, les empêcher de mal tourner, comme c’est le cas au moment même où nous parlons. Mais seul, je n’y parviendrais pas. J’ai besoin qu’une... confrérie m’accompagne. Dix compagnons pour m’aider, et j’ai l’intime conviction que tu en fais partie.
– Qu’est-ce qui te fais croire que j’ai envie de te suivre, de venir lutter avec toi, alors que je ne sais même pas de quoi tu parles...
– Moi je crois que tu le sais beaucoup plus que tu ne veux te l’avouer. Sur Gers, vous croyez en la destinée, vous pensez que votre vie est tracée. Tu sais ce qui se passe, ou tu t’en doutes. Cela fait deux fois que nous nous rencontrons et cette deuxième fois, tout comme moi, tu as compris. Dans le couloir, j’aurais pu te croiser sans m’arrêter, continuer mon chemin sans que tu te doutes une seule seconde que j’étais passé à dix centimètres de toi ; mais je t’ai reconnue, et tu m’as reconnu.
Gwenda ouvra la bouche, comme pour répliquer, mais elle ne put prononcer un mot, s’apercevant que le Martien avait raison. C’était exactement ce qu’elle avait ressenti. Il avait réussi à comprendre ce qui la tourmentait bien avant elle-même. Sans aucun doute, cet homme était un grand guerrier, un homme qui avait vécu une multitude d’expériences, toutes plus effrayantes les unes que les autres. Elle le regarda, plongea son regard au plus profond du sien et vit... Elle vit que le Martien devait être beaucoup plus âgé qu’elle, même au travers de toutes ses vies, peut être même plus que la légende de la Renaissance.
Soudain, un choc mental lui frappa l’esprit. Une douleur s’insinua au plus profond de son âme pour s’y installer et une voix, énorme, autoritaire, omniprésente, résonna :
– AMÈNE-LE MOI GWENDA !
La phrase était courte mais elle sembla résonner plusieurs minutes dans sa tête. Gwenda releva la tête et vit le Martien à côté d’elle :
– Que se passe-t-il Gwenda ?
Comment connaît-il mon nom ? pensa-t-elle.
– Je l’ai lu dans ton esprit. Que t’arrive-t-il ? tu t’es effondrée.
– Je suis... désolée... mais tu dois... venir avec moi... articula-t-elle avec grande peine. N’essaye pas... de résister ou... de t’enfuir... je suis... plus forte que les deux Takis.... que tu as... semé...
Gunnm réfléchit quelques secondes, puis répondit :
– D’accord. je te suis.

Des couloirs et des couloirs. Ce bâtiment semblait n’être composé que de cela. Des kilomètres et des kilomètres de couloirs en colimaçon. Le temps semblait passer au ralenti, des heures et des heures s’écoulèrent avant que la Gersienne et son “prisonnier” arrivent au bout.
Les escaliers s’arrêtaient net contre un mur. il n’y avait aucune échappatoire possible. Gunnm n’était pas dupe, il savait que la Reine-Mère se trouvait derrière la paroi et qu’il leur suffisait de passer au travers pour la rejoindre... Mais c’est là qu’il se trompait.
Il entendit soudain un bruit de roulement derrière lui et, se retournant, il vit un mur se solidifier à l’endroit même par lequel ils venaient d’arriver. Il jeta un coup d’œil vers Gwenda, mais celle-ci était dans un piteux état, et n’avait pas remarqué ce qui était en train d’arriver. Le Martien essaya alors de passer avant que le mur ne soit complètement formé et, attrapant sa compagne par le
bras, il fonça vers l’ouverture.

– Passons maintenant au dossier Gunnm, dit un des conseillers, ou peut être souhaitez-vous vous en occuper seul votre Majesté ?
La question avait été lancée avec une touche ironique, voire méchante, sous entendant que les dossiers de l’agent étaient toujours pris en charge par Milms en personne.
A la grande surprise de toutes les personnes attablées dans la pièce, excepté Renig, Milms répondit :
– Non. Nous nous en occuperons aujourd’hui même...
Gwenda ouvrit les yeux, mais le noir était toujours présent. Elle se releva et resta assise par terre. Se frottant les yeux, elle s’accoutuma à l’obscurité et regarda tout autour d’elle. Personne. Tâtant le sol, elle chercha son fusil mais ne le trouva pas.
Elle ouvrit la bouche pour appeler quelqu’un, demander ce qui arrivait, mais une main se posa sur ses lèvres , l’empêchant d’émettre un son. Au contact froid de ces doigts, elle sut que c’était le Martien. Elle n’eut pas le temps de faire un mouvement, ni même d’essayer de communiquer avec son compagnon, car une lumière aveuglante inonda la pièce dans laquelle ils se trouvaient.
Une ou deux minutes passèrent avant que la Gersienne retrouve l’usage de sa vision mais, lorsque cet instant arriva, elle se dit qu’elle aurait préféré s’arracher les yeux... Elle était dans la salle d’incubation, la salle de sa Reine-Mère Lana, la salle où toutes les habitantes de la planète naissaient, la salle où elle était née... En temps normal, Lana, génitrice de tout Gers trônait au centre de la pièce, reliée au centre nerveux de Dra-Oh, l’arbre sacré, immense cœur de la planète. Mais la créature qui occupait sa place n’était, ne pouvait pas être Lana. Certes, elle lui ressemblait ; bien sûr elle faisait partie intégrante de la place, et certainement de la planète entière, mais cette vision cauchemardesque ne pouvait être sa Reine... sa Mère...
Pourtant la même voix frappa son esprit... La même voix que celle de Lana, mais la gentillesse s’était transformée en méchanceté, et la douceur était devenue cassante, vicieuse...
– Approche Gwenda ! dit la voix, semblant se répandre dans toute la pièce...
Gwenda, impuissante, ne put qu’obéir à l’ordre donné. Elle approcha de sa Reine, se bouchant
les oreilles et rampant de douleur.
– Je crois que vous pouvez ranger le dossier Gunnm, déclara Milms en s’appuyant sur ses coudes, un sourire sournois sur les lèvres...
– Vous êtes sûr de votre décision ? demanda Renig.
– Je ne vois pas en quoi cette décision est discutable, mon cher conseiller. Gunnm est un traître pour Mars. Il mérite la mort pour plus d’une faute.
Le Grand Conseiller soupira. Rien n’aurait pu faire changer d’avis ces stupides conseillers. Aucun n’aimait Gunnm ici, et pourtant, il ignoraient ce que celui-ci avait sacrifié pour Mars ; mais Milms, lui, le savait, et c’était ce en quoi son attitude était étrange.
Renig regarda Milms et fut frappé de stupeur... Il avait changé... Ses traits se raffermissait ; ses cheveux, d’un blond éclatant, devenait noir-gris. Ses yeux semblaient injectés de sang et le regard qu’il jetait sur la salle était mauvais...
La créature que Gunnm avait devant lui était le parfait exemple de ce contre quoi il se battait. La corruption avait rendu la Reine-Mère indigne de la réputation de beauté des femmes-plantes. Ses cheveux n’avaient plus l’apparence de lianes mais celle d’énormes tuyaux protégeant des fils électriques ; un réseau de câbles partait du bas de son ventre et la reliait à toute une série de cocons disséminés dans la salle. Ses mains ressemblaient à d’immenses griffes de fauve, et ses dents à des lames d’épées. De plus, chose étrange, tout son corps était en métal.
– Avance martien, lança la Reine-Mère Lana.
Gunnm s’exécuta, trop lentement sûrement aux yeux de la Gersienne qui étendit son bras jusqu’à lui, et l’attrapa afin de l’amener devant son visage. Il en était sûr maintenant, l’esprit de la planète mesurait plus de trois mètres...
– QUE VIENS TU FAIRE ICI MARTIEN ? QUI T’ENVOIE ? TON GOUVERNEMENT ? cria
Lana. NE TE SENS PAS OBLIGE DE RÉPONDRE MARTIEN.. DE TOUTES FAÇON, TON SORT
SERA LE MÊME !

– Je ne suis ici que dans un seul but Gersienne, et je ne suis en aucun cas envoyé par ma planète. J’ai même été banni par l’Empereur Martien lui-même...
Lana partit alors d’un grand rire. Elle lâcha Gunnm qui ratterit parfaitement sur ses deux pieds. Elle s’arrêta et regarda l’ancien agent d’un air méchant.
– Et tu pensais pouvoir repartir d’ici en emmenant une de mes filles, un des meilleures qui plus est., sans que je le sache ?
Elle se remit à rire.
– Je ne la kidnapperais pas, si c’est ça que tu insinues. Elle m’accompagnera si elle le souhaite, de son plein gré. Mais je pense que la vison de sa Reine, rongée par la corruption, la confortera dans le choix qu’elle a à faire.
– Ah c’est ce que tu crois ? Eh bien, demandons-lui... Gwenda, Mère Guerrière, souhaites-tu accompagner ce martien, banni de sa planète ?
En disant cela, elle attrapa la Gersienne par la tête et la mit debout, face au Martien. Gwenda semblait souffrir – bien qu’aucune blessure ne soit visible sur son corps – et lutter contre une force invisible.
– Je... ne... veux pas... répondit-elle avec peine...
– Tu triches Lana ! lâcha Gunnm. Tu la forces à répondre contre sa volonté !
D’un geste et vif, le cyborg traça un mouvement dans les airs, dessinant un triangle dans un carré, d’un seul trait, et tout ça en moins d’une seconde. Il plaça ensuite ses mains devant lui et murmura un seul et unique mot :
– Kzrlmqp...
Aussitôt, une bulle d’énergie verte entoura Gwenda qui se souleva et vola vers Gunnm. Lana sourcilla de surprise face à ce déploiement d’énergie.
– Tu n’es pas un simple pion, martien, lui dit-elle. Tu maîtrises à la perfection les Mots de Pouvoir. Qui es-tu vraiment ?
Cette question avait été posée sur un ton qui ne demandait pas de réponse.
C’est à ce moment qu’un bruit énorme envahit la pièce, comme si quelqu’un doté d’une énorme paire de poumons prenait sa respiration. Le bruit ne cessait pas. Tous les cocons disséminés dans la salle sphérique s’ouvrirent en même temps, lâchant un nuage de vapeur.
La fumée se dissipa très vite et le Martien vit alors les nouvelles Gersiennes...
Les rues des villes, sur Mars, n’étaient pas éclairées, ou alors très peu ; le taux de criminalité sur la planète étant très élevé, le gouvernement avait décrété un couvre-feu à la tombée de la nuit, pour empêcher les tueurs maniaco-dépressifs ou les psychopathes muto-cyborgs de violenter la population. Chaque ville était isolée des autres de plusieurs centaines de kilomètres, toutes seules dans le désert Martien, un lieu aride et inhospitalier. Alors, les cités avaient fait construire des murailles de métal extrêmement solides afin d’empêcher les créatures animales de l‘extérieur de rôder dans les ruelles...
Mais, malgré tous les dangers qui planaient sur ces villes, malgré le couvre-feu, un personnage marchait dans une des rues de la capitale Martienne, la ville dans laquelle avait été construit le Palais Royal (qui n’avait de royal que le nom et la fonction). Cet homme – car c’en était un – marchait le long des habitations, comme s’il ne souhaitait pas attirer l’attention sur lui, se fondre dans le décor. Il tourna au coin d’une ruelle et tomba sur une patrouille de soldats.
– Eh ! Toi ! Arrête-toi ! cria l’officier.
L’homme s’arrêta et attendit que les guerriers arrivent à côté de lui. Il enleva alors sa capuche, laissant entrevoir des cheveux blancs.
– Excusez-nous Monsieur, dit un des gardes, en baissant respectueusement la tête. Nous ne vous avions pas reconnu.
L’homme remit son capuchon et continua son chemin. Au bout de quelques minutes, il s’arrêta à nouveau, devant une maison délabrée, vieille d’au moins deux siècles. La porte et l’unique fenêtre de la devanture étaient bouchées par des planches de bois clouées en travers et les arrêtes de la bicoque, recouverts de métal, suintaient l’humidité et la crasse. Il hésita un instant à entrer dans
ce repaire de germes infectieux, puis s’approcha de l’ouverture qui servait d’entrée et décrocha une planche. Se glissant à l’intérieur, il s’épousseta les vêtements lorsqu’il sentit une lame se poser sur sa gorge...
– Annoncez, dit l’homme, le Grand Conseiller Renig...
Cinq femmes, aussi semblables aux Gersiennes que l’étaient Lana. Leurs cheveux, de lianes, étaient devenues d’énormes fils électriques ; elles arboraient des dents aussi énormes et coupantes que celles d’un fauve. Leurs corps étaient entièrement métallique et des tuyaux remplaçaient leurs jambes. Ces cinq femmes de métal avaient été créées par la corruption même de la Reine-Mère. Elles ondulaient sur elles-mêmes d’une façon inquiétante, et se mouvaient étrangement, semblant glisser sur le sol de façon extrêmement macabre.
– Mes filles, cria Lana, de sa voix stridente, vous êtes la toute nouvelle génération de Gersiennes, l’élite de la planète...
Les nouvelles nées tournèrent alors la tête vers la Reine-Mère et, dans une mimique d’affection, penchèrent leur appendice supérieur sur le côté.
– Tuez le Martien, murmura Lana.
Aussitôt, les femmes-plante – ou plutôt les femmes-métal – avec un sourire carnassier et malfaisant, se retournèrent vers Gunnm... Soudain, l’une d’elles fit un bond de trente mètres de long en direction de son adversaire et, chose étrange, les fils – ou les tuyaux – en bas de son corps restèrent accrochés au sol.
Avec une rapidité presque improbable, Gunnm se souleva du sol et effectua un coup de pied retourné qui atteignit la Gersienne au visage et la renvoya à l’endroit d’où elle venait. Ses sœurs, l’imitant, se jetèrent sur leur proie. Le cyborg, se mouvant avec grâce et légèreté les évita les unes après les autres puis, commençant à flotter à quelques décimètres du sol, il récita, en joignant les mains, une phrase longue et étrange :
– Klmpf grmhrnz bdqc...
Lorsqu’il eût fini, il leva les mains en avant et, comme une sorte de spasme, il se cambra, les mains et la tête en arrière, et une lumière aveuglante envahit toute la pièce...
Tout était encore noir ; le sol semblait se dérober sous ses pieds et, tout tournait dans la pièce... Que s’était-il passé ?
Il y avait eu une grande lumière blanche et puis elle s’était évanoui...
Gwenda ouvrit tout doucement les yeux et tenta de se réveiller...
Elle prit alors conscience que l’environnement dans lequel elle se trouvait n’était plus celui de la Salle-Mère, cœur de sa planète. Ici, tout bougeait ; elle était dans un véhicule... Un vaisseau...
Ouvrant soudainement les yeux, elle se releva brusquement : elle reconnût alors un des vaisseaux de la flotte Gersienne, un chasseur, précisément.
S’habituant à la nouvelle atmosphère du lieu, elle se mit sur ses deux pieds et fit un pas. Elle se dirigea alors vers la cabine de pilotage en haut de l’appareil. Ce qu’elle vit ne l’étonna pas du tout. Gunnm, aux commandes, conduisait l’appareil vers une destination qui lui était, pour l’instant, inconnue ; mais elle comptait bien la connaître.
– Où allons-nous ? commença Gwenda. Que s’est-il passé ?
Le Martien, pas le moins du monde surpris par l’intervention orale de sa compagne, répondit, ne quittant pas l’espace des yeux.
– Nous nous dirigeons vers Nohirrim.
Un silence s’installa. On n’entendait plus que le vrombissement berçant du moteur végétal du vaisseau.
– Je t’ai posé une question, martien...
– Et je l’ai entendue. La vérité est que je ne me souviens pas entièrement de ce qui s’est passé.
– Ecoute-moi bien Martien, continua Gwenda, reprenant son calme tandis qu’elle faisait pivoter le siège afin de regarder le cyborg droit dans les yeux. Apparemment, nous allons faire équipe. Je ne sais pas encore si cela me plaît, étant donné que les seuls rapports que j’ai eu avec ta race n’ont eu lieu qu’au travers d’affrontements. Mais si tu veux que cela fonctionne, dis-moi toute la vérité.
Une pause vint ramener, une fois de plus le calme de l’espace et Gunnm, nullement décontenancé par le discours de la Gersienne, répondit :
– Très bien. De ce que je me souviens, ma technique a pu tuer toutes les aberrations que ta Reine venait de créer. Par contre, Elle n’a été qu’affaiblie. J’ai alors cherché un moyen de sortir de la pièce... Avec toi.
Une nouvelle pause.
– Et alors ?
– C’est tout. La trop grande utilisation d’énergie a affecté ma mémoire. Je ne me rappelle pas ce qui s’est ensuite passé.
Les deux nouveaux compagnons se regardèrent droit dans les yeux. Gwenda, dans ce regard put voir que Gunnm ne mentait pas. Elle vit qu’elle devait l’accompagner, elle devait mener à bien cette mission, même si elle n’en connaissait pas tous les tenants et aboutissants.
– Il faut que je me déconnecte, dit-elle tout d’un coup, se détournant.
– Comment ?!
– Si Lana est encore vivante, elle peut me parler, me retrouver n’importe où dans l’Univers.
Elle se retourna et montra au Martien une sorte de petite araignée végétale accrochée à la base de son cou :
– Cette glande peut le lui permettre, je dois me déconnecter d’elle pour devenir Indépendante...
Elle leva sa main devant son visage et sa griffe apparut, sortant de sa peau. Les lames remplaçant les doigts d’effilèrent à leur maximum.
FIN DU CHAPITRE

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